OSKAR PASTIOR
Lectures avec tinnitus & autres acoustiures




Traductions de Sabine Macher, Hugo Hengl, Philippe Marty, Jean-René Lassalle, Joel Vincent, Jacques Lajarrige et Nycéphore Burladon. 
Postface de Jacques Lajarrige.
Collection Du poème


Prix : 20 euros
Nombre de pages : 210
Format : 16 x 22 cm
Parution : 2010
ISBN 978-2-915684-20-9


Présentation :
Ce volume est une anthologie composée à partir des principaux livres de poésie d’Oskar Pastior. Pastior écrit dans l’allemand, plus qu’en allemand, selon l’heureuse formule de Christian Prigent : il utilise une langue dont on a souvent l’impression qu’elle a perdu tout repère, qu’elle échappe à la discursivité, tant elle est massivement faite d’inventions, trouée de glossolalies et d’onomatopées, constituée de l’effondrement et de l’affrontement d’une multitude d’autres langues, zébrée, bousculée, tant dans sa syntaxe que dans son lexique, par le roumain, le russe, l’anglais et le français, le latin ou le grec, une langue extrêmement dynamique, sur-rythmée, où s’affirme constamment, par le dérapage, la figure, le paragramme, ou la réécriture un particularisme violent. C’est une langue sceptique qui brouille avec minutie la communication pour mieux faire de celle-ci, de ses modes de fonctionnement ou de conditionnement, une véritable question de nature poétique et conceptuelle. Mais c’est aussi une langue qui se renouvelle sans cesse, qui modifie ses angles d’attaque, visant tantôt le phonétique, tantôt le syntaxique, prenant alternativement le biais du burlesque ou celui de l’analytique, joue de l’énigme ou de la théorie, passe par le trivial tout en se pliant aux formes les plus complexes de contrainte (sextine, pantoum), pour mieux les renouveler. Immense jubilation verbale, le poème de Pastior impose toujours un redécoupage complexe du sens, une « subversion », par quoi il empêche tout figement, toute réification, toute souillure, et se donne comme une expérience d’échappée belle hors de la normativité.  
Oskar Pastior, né en 1927 à Hermannstadt (Siebenbürgen) en Roumanie, est décédé à Frankfort le 4 octobre 2006. Il fut déporté de 1945 à 1949 dans le camp de travail soviétique de Dombas, puis il fit des études de germanistique à Bucarest. Passé à l’Ouest, il a vécu à Berlin à partir de 1969. Ce poète roumano-allemand est considéré comme l’éminent représentant d’une poésie fondée sur le jeu avec le langage et les mots, où les frontières avec la poésie de nonsense est fluctuante. Pastior est très influencé par la poésie phonique des dadaïstes et par la littérature à contraintes. Entré à l’Oulipo en 1992, il en est l’unique membre allemand. Il a reçu le prix Ernst-Meister-Preis (1986) et le Hugo- Ball-Preis (1990), puis, en 2001 le Prix Huchel et le titre de docteur honoris causa de l’Université Lucian Blaga de Hermannstadt. Enfin, il a été couronné en 2006 par le Georg-Büchner-Preis, le plus prestigieux des prix littéraires allemands.

Extrait :
L’amitié avec la langue aussi est une longue histoire, souvent également une histoire d’horreur, et quiconque ne noue pas cette singulière amitié dès l’enfance est, je le crains, perdu à tout jamais. Te souviens-tu ? À l’époque, j’allais encore à la maternelle. Mon père n’était pas seulement professeur de dessin, mais aussi chaque dimanche un vrai chasseur. Le lundi, le lièvre pendait à la porte en bois grise, il était pendu par les pattes de derrière, sa tête pendouillait, sanguinolente ; commençait alors la grande affaire du lundi, que j’avais le droit de regarder, le dépouillage. Mouais, et c’est alors qu’un jour, tard le soir, nous, les enfants, dormions dans la même chambre que les parents, je me suis réveillé et que dans le lit conjugal laqué blanc, avec son vase de roses joliment sculpté, au pied duquel se trouvait ma couche, j’ai entendu mon père parler à voix basse d’histoires d’argent quelconques et prononcer ensuite ces paroles terribles : « on me dépouille. » J’ai vu mon père pendu à la porte de bois grise, vu un couteau de chasse séparer les chairs sous la peau… Et c’est au milieu de ces angoisses enfantines, je le sais, qu’eut lieu avec la langue la première rencontre attentatoire à la vie. Je l’ai prise au pied de la lettre. Elle m’a pris au mot.
(JL)
*** 
Fourbi  
Malgré toi fonceur né de technique et de savoir :
éteint en dents de scie au vu et au su de tous les
domaines : quoi que tu fasses, fais-le au ras des pâquerettes
et pense aux grenouilles : les courants parasites errent aussi :
donne du champ à tes quatre vérités, sois providence et soir
pure, si tu peux, mais fais attention à ces conseils 
ineptes : la lune à sa manière en appétit pigno-
che : aie néanmoins du savon dans l’oreille, négli-
ge le lit de ton ongle, saisis gauchement ce  
papier gris : si face à un fond humide de l’aire
cérébrale ton corps sidéral passe en phase, bleu, jaune,
rouge, et autres couleurs, métal débile aussi – montre ce  
que tu ne peux pas et sois masse informe largement centrifugée :
tout feu tout flamme tu le peux encore ; ne fais pas de
cœur pogné de ton mystère peu combiné et pas d’étau  
des coquilles d’œuf : être pointe au zénith par un
temps pourri, on attend ça de toi : fais-le dans un
domaine d’emprunt : ne crains pas la gadoue, sois la  
déception en personne d’un point de vue terre à terre : né
galvanique et bruinasse, éteint de côté, quoi que tu
fasses : fais-le en prenant des airs d’empâté, malgré toi fonceur. 
(JV) 
*** 
Enclos couard 
couard à poussière couard coupable couard sans ambage
juvénile couard couard adverse génucouard thermocouard
strate écot rauque bris fronce gratte
bloc pacte paraphe considère
urne octroi cours tavelure germe
couard vertigineux couard hors-la-loi couard oblitéré
couard affres armes soucieux
couard dorsal et écrémé 
couardise dis-je 
couardise de pensée égalité frater
nité statue afflux brut temps
lutteur preste formule gibier nageur
style mort cours abri cran pays col
marches maçon collaborateur
pêché de couardise motif de couardise 
le jour de couardise pas une feuille pendouille 
toujours la couardise des autres
qui s’y croit par deux chemins
à pied couard de main couarde
et sous des cieux couards peuple couard
couarde course et chute - arbre à couard de plomb
qu’un tel ait lieu par volonté passage conçu
et flottant à cœur ouvert aux rênes
le torse couard d’après schiller art et presse
de son plein couard décrété en toute franche couardise 
butineur prend la mesure du nécessaire 
que suis si couard respectivement associé
bière penseur exemplaire corps pays
en jeu de lumière demoiselle havre
la couardise d’action bien sûr est rouille
bière marques crises intérêts frais poste feu
en traduction couarde dès lors couard de fièvre
couard de droit couard erroné (loue venin branche gras
bois douleur immune) à cœur joie oh oh
couard préjugé un paradigot sur la patate 
reffe égi nord dormit jaune d’œuf ephraim 
couard ferroviaire - mufle professionnels nonobstant brume
l’aptitude live est couard de fistule et écume
tarifs heures de livraison acier nicotine
seuls les couards de la passion sont éclats
épaule décompte militaire accent et glu
couardé à la couarditude restante côté bouillie broyée
poussée glace intérêt risque à hélas naturisme -
les amants de la couardise sont couards dubitatifs 
les violons pleins d’incouards moisissent héron 
(HH)